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Les Notes d'un Souterrain
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27 mars 2010

Shining (1980) de Stanley Kubrick - Le mystère de l'ombre de l'hélicoptère

"Comme dans une enquête policière, il faut ne rien hiérarchiser et ne chercher dans aucune direction précise. Il ne faut pas non plus censurer ses émotions et ses projections, même les plus farfelues, mais au contraire les mettre à jour, les formuler, en être conscient, et les laisser flotter" (Michel Chion, Stanley Kubrick : l'humain, ni plus ni moins, Editions des Cahiers du cinéma, 2005).

Shining

Film anglo-américain de Stanley Kubrick - 1980 - [The Shining] - Avec Jack Nicholson, Shelley Duvall, Danny Lloyd...

      Shining n'est pas un film qui fait pas peur. Avouons-le. Il peut mettre mal à l'aise. Il peut gêner les âmes plus tendres. Mais il ne fait pas peur. Avec ce début qui commence presque comme une parodie, cette musique au synthé très lourde et beaucoup trop forte, ce générique aux couleurs improbables, défilant à rebours, cette mystérieuse ombre d'hélicoptère qui apparaît au coin de l'écran, ces bruits ridicules dans la bande-son, ce travelling lisse et pur qui dénote avec tout le reste... Bref avec tous ces éléments qui assomment littéralement le spectateur dès les premières secondes, on se demande dans quelle direction veut nous emmener le réalisateur. L'impression de malaise se crée, malaise lié en partie à ce début complètement à côté de ce qu'on attend, en partie dû au travelling inhumain qui surplombe toute la scène comme un regard divin. D'ailleurs la version américaine (puisque la version européenne, celle que nous avons certainement tous vu, est amputée d'une petite demi-heure) avait tendance à s'apesantir encore plus lourdement sur les circonstances, les informations que le spectateur devait connaître et sur la géographie du lieu. Comme si le personnage joué par le directeur de l'hôtel Overlook prenait le costume du metteur en scène et expliquait patiemment à ses acteurs le lieu du tournage, l'histoire qui va s'y produire, etc. Dans le nouveau montage de la version courte, on a atténué cet "aspect démonstratif et pesant d'une exposition voulue comme telle" (Michel Chion, ouvrage cité, p.398). On l'atténue, certes, mais il persiste tout de même une intention de "jouer" le film d'horreur...

     Si ce film m'a intrigué dernièrement, c'est surtout à cause de cette ombre d'hélicoptère qui apparaît au tout début du film, dans le coin en bas à droite de l'écran… – Erreur de cadrage ? Différence entre le format prévu pour le cinéma et le format télé ? – Un maniaque comme Kubrick aurait interdit son film de sortir ainsi… – Volonté de ruiner l'immersion dans le film ? – Peut-être bien… En fait, deux théories s'affrontent sur le sujet, plus ou moins valables. Il y a la théorie scientifique, celle du format de l'image (ici), et il y a l'explication artistiques qui y voit plutôt un cadrage volontaire. Il me semble que Kubrick s'amuse à différents moment du film à mettre en scène la présence de la caméra. Pas seulement au début du film, avec cette ombre si visible qui, de toute façon, ne révèle rien puisqu'on se doute que ce n'est pas Rocket Man qui filme, mais durant toute la projection. Quoi qu'il en soit, ce signe est présent, Kubrick l'a vu quand il a monté le film. Il aurait pu introduire la coupe deux secondes plus tard mais il décide, en sachant pertinemment que ce qui sera caché au cinéma sera montré à la télé, de concevoir son montage ainsi... Elémentaire, mon cher Stanley.

ombre_helicoptere
indice n° 1 : le mystère de l'ombre de l'hélicoptère

On trouve un peu plus loin dans le film ce célèbre plan  filmé en steadycam qui suit le petit garçon sur sa voiture à pédale. On passe à un moment devant un panonceau qui indique "camera walk", c'est-à-dire exactement ce que fait le cadreur derrière, avec sa caméra bloquée par des harnais sur son corps, qui marche.

camera_walk_a
indice n°2 : le mystère du panonceau 

Et ce plan dans la chambre 237, lorsque la caméra inspecte la pièce puis se dirige vers une porte à moitié entrebâillée... La caméra s'approche, lentement, de plus en plus près, jusqu'à lui être collée, puis une main apparaît à gauche du cadre et pousse délicatement la porte. On comprend après coup qu'il s'agissait d'une vue subjective de Jack Torrance, mais sur le moment, tout spectateur honnête se demande ce que cette main vient faire dans le cadre, cette main qui appartient nécessairement au cadreur qui doit entrer dans l'autre pièce pour continuer à filmer, et qui se permet de pousser la porte...

la_main_du_cadreur
indice n°3 : le mystère de la main du cadreur

D'autres passages me laissent penser que Stanley Kubrick désirait, précisément dans un film d'horreur où l'impression de réel doit être la plus forte, signifier la présence de la caméra. Je peux citer le moment où Jack Nicholson s'énerve et envoie valser des ustensiles de cuisine jusque dans l'écran de la camera :

un_indice_de_pr_sence
indice n°4 : le mystère de l'objet qui frappe l'écran

Ou bien l'épisode de l'ascenseur, repris dans la bande-annonce, avec le sang qui va jusqu'à recouvrir l'écran entièrement, offrant ainsi un filtre sanglant naturel à la caméra :

la_chambre_rouge
indice n°5 : le mystère de la couleur

On pourrait encore citer bien d'autres indices révélateurs de la présence de la caméra ou de toute forme d'artificialité, comme par exemple le labyrinthe en miniature qui appelle un autre décor factice, le labyrinthe de l'hôtel. Ou bien encore ces cartons qui ponctuent tout le film ("The interview", "one month later", "Tuesday", etc.) et qui interrompent le fil de l'action sans avoir un intérêt évident. Et tous ces décors à la géométrie, à la symétrie parfaite. Ce sont des éléments qui nous empêchent d'une certaine manière de nous plonger dans le film, des éléments qui détruisent, pour le dire un peu mieux, le pacte du "suspension of disbelief"… Tout cela est trop parfait pour être vrai*.

Il me semble que Stanley Kubrick a volontairement voulu mettre à jour des éléments-reflets de la mise en scène. Ce sont parfois des clins d'œil (clins d'yeux ?), parfois des éléments constitutifs du style de l'auteur. Maintenant, il se peut très bien que ce foutu cadreur n'ait pas vu cette saloperie d'ombre d'hélicoptère dans le cadre et que tout cela soit allé jusqu'au montage, mixage et autre foutage de gueule… Allez savoir !

le_lapin_qui_suce

 

* Il s'agit bien sûr d'une interprétation. Car il est possible, voire préférable, de concevoir une volonté double de la part de Kubrick. Il y a une véritable ambiguïté. Nous nous souvenons tous de cette scène où Jack Nicholson défonce la porte à coup de hache. Le mouvement de caméra, qui suit la hache, est si fluide et si violent qu'il me tétanise à chaque fois. La caméra devient, l'espace d'un instant, la hache qui cogne, avec la vitesse, les vibrations, l'impact. Cet effet de mouvement et d'arrêt de la caméra, on le retrouve lors de la mort de Dick. Un travelling l'accompagne dans sa marche et s'arrête en même temps que lui, lorsque ce schizophrène de Jack Torrance lui assène un coup de hache en plein cœur. Dans ces moments-là, Kubrick semble donner vie à la caméra, il traduit phénoménologiquement (hum, quel beau mot) l'expérience vécue par le personnage. Une autre enquête à mener donc... 

Chion_Kubrick

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