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Les Notes d'un Souterrain
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2 mai 2010

La Conquête de Plassans (1874), de Zola -

Croix

      Vague souvenir d'une lecture d'école, La Conquête de Plassans me revenait à l'esprit comme le portrait d'un homme fait diable. La stature de l'abbé Faujas, ombre gigantesque se profilant sur un paysage terre-à-terre, banal, prosaïque, relève, quand on aborde ce roman, de l'imagerie démoniaque. Quand l'abbé arrive dans la maison des Mouret, famille paisible d'une ville du Sud de la France, il est perçu comme l'intrus qu'il ne faut pas laisser entrer. Les prémonitions négatives que Marthe donne à entendre sont d'un instinct presque animal : celui de la bête qui prévoit le danger. Zola, qu'on pourrait qualifier naïvement de "Balzac mythologisant", préfigure ce qui sera tout symbolique chez un Maeterlinck (celui de L'Intruse justement). Faujas est silencieux et froid et invisible comme un être surnaturel. Il entre dans le foyer de la petite famille comme s'il était la Mort elle-même. Il use d'un pouvoir diabolique, surhumain, qui lui assure puissance et domination : "Ce diable d'homme ! Il ne demande rien et on lui dit tout" (p.69). Mais très vite la situation change : le Mal personnifié finit par ne recouvrir que la dimension mesquine d'un homme méchant, ambitieux, méprisant. Faujas n'est pas le démon, il est l'homme mauvais, qui renie tous les hommes, qui insulte la chair, la femme. Il voit le Mal partout, Satan en chacun, et se fait conquérant démoniaque, démagogue diabolique pour abolir le règne du chaos humain. Il est l'éternel méprisant de ce monde. Ce marchand de peur, tel un dieu néfaste, voudrait étendre ses larges mains pour étouffer le mouvement infernal. Contrairement à ce que voudrait son état, il ne reconnaît pas l'humanité. Il ne voit que des pions, des masses, des marionnettes qu'il va pouvoir terroriser pour les mener où il veut. L'abbé Faujas appartient à la catégorie littéraire des grands manipulateurs de conscience. 

"En haut, à la fenêtre, l'abbé Faujas, tête nue, regardait la nuit noire. […] Il y avait un mépris dans le redressement de son cou de lutteur, tandis qu'il levait la tête comme pour voir au loin, jusqu'au fond de la petite ville endormie. Les grands arbres du jardin de la sous-préfecture faisaient une masse sombre, les poiriers de M. Rastoil allongeaient des membres maigres et tordus ; puis, ce n'était plus qu'une mer de ténèbres, un néant, dont pas un bruit ne montait" (p.44). Plus tard, Faujas aura enfin satisfait son rêve de domination : "Debout, appuyé contre la cheminée, il semblait rêver, les yeux au loin. Il était le maître, il n'avait plus besoin de mentir à ses instincts ; il pouvait allonger la main, prendre la ville, la faire trembler. Cette haute figure noire emplissait le salon" (p.343).

On connaît l'anticléricalisme de Zola. L'association entre Satan et Faujas apparaît même un peu grossière quand on voit tous les personnages employer le terme de "diable"pour qualifier l'abbé. Zola en profite d'ailleurs pour nous donner à voir l'image perverse et drôle (adjectif que je ne peux associer dans mon esprit avec cet auteur) de ce prêtre qui, devant sa pénitente Marthe, "brandit un doigt mouillé d'eau bénite" avec lequel elle se signe (p.123). Mais Zola est avant tout un tragédien de la terre, du quotidien, un poète du social, un mythographe du prosaïsme, et sa Conquête de Plassans est bien plus une conquête des vermines. Comme une lente dégradation de la figure maléfique vers la médiocrité humaine. L'auteur refuse d'agrandir l'image. Au contraire, il la réduit petit à petit à mesure que l'intrigue avance. C'est une ombre qui se fait de plus en plus pâle. Le caractère si fort et mystérieux de l'abbé se transforme en esprit étriqué, égoïste, avide de pouvoir politique. Très vite tout redevient banal, terrestre, terriblement humain. Faujas n'est vraiment pas le diable. Il est, au mieux si nous pouvons dire, une bactérie injectée dans une ville saine. Le pus qui en sort est la folie, la vengeance, le meurtre, la mort… Le cercle se réduit encore et l'abbé n'est plus qu'un vulgaire mortel, qu'on fait disparaître comme une mauvaise herbe, par le feu. On apprend à la fin qu'il n'était lui-même qu'un petit pion risible, méprisé, envoyé par un homme influent de Paris pour pouvoir influer sur les élections. Dans sa chute vers le destin minable qui l'attend, Faujas aura eu le temps de détruire une famille. Mais son halo négatif ne représente qu'une ombre mince et sans génie. Avec La Conquête de Plassans, Zola démystifie ce qu'on aurait pu prendre pour un symbole du Mal. Le tragique de Zola finit par détruire de l'intérieur les monstres qu'il enfante.

Conquete_de_plassans

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