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La Main de Dante est un roman sur la littérature. Nick Tosches nous refait le coup de Cervantès en nous peignant la Béatrice de Dante sous les traits d'une femme grâce et moustachue, mariée à un minable banquier. L'auteur de la Divine Comédie apparaît comme ce fameux don Quichotte qui imagine une Dulcinée aux traits parfaits alors que la réalité n'est autre qu'une paysanne hommasse aux traits grossiers. Rien de vraiment novateur dans cette façon de traiter la vérité littéraire. L'idéal féminin imaginé par Dante dans sa Vie Nouvelle et son Paradis prend source dans une femme terrestre et terriblement humaine. Mais Tosches appuie son propos en donnant à voir les autres réalités. Alors que Gemma, la femme de Dante, est laissée dans une misère affective par son mari, Tosches met en scène son amour véritable pour une femme terrestre et bien vivante, Giulietta. Il refuse l'idéal imaginaire, ou tout du moins le relègue dans une autre sphère, comme c'est le cas lorsqu'il évoque sa fille qui est morte. Giulietta devient le symbole d'une littérature qui ne cherche plus à dissimuler la vérité romanesque…

L'intérêt du roman se situe peut-être dans cette opposition soulignée entre cette démystification et les deux mystifications biographiques que nous pouvons lire dans La Main de Dante : celle qui touche l'auteur lui-même, Tosches, dépeint comme un écrivain baiseur qui écrit pour le pognon ; et celle de Dante, huit siècle auparavant, faisant figure de poète jaloux, insensible et traître. Le propos du romancier américain pourrait être celui-ci : arrêtons avec ces conneries d'idéalisation, disons la vérité. Ou, pour le dire un peu plus poétiquement, derrière chaque mensonge se trouve une vérité. Le début du roman commence par l'exposition d'une double déchéance. D'abord avec ces premières pages qui se veulent sulfureuses en nous narrant les propos d'un mafieux qui chie sur tout le monde, qui se fout de tout, Louis, un malfrat violent jouant avec les symboles religieux (les corps mis en positions de prière, "la trinité recroquevillée et moite de sa bite et de ses couilles", etc.). Nick Tosches rentre dans le ventre de la bonne conscience collective en répétant ces propos racistes et nihilistes, impression qui s'estompent lorsque nous comprenons à qui nous avons affaire. La deuxième déchéance touche la littérature. Nick Tosches se décrit comme un romancier qui écrit pour le pognon, et crache sa colère sur l'édition américaine dirigée par des "gros culs" qui ne cherchent qu'à faire du fric. Il en profite d'ailleurs pour lancer quelques hommages littéraires : Faulkner, Selby Junior, Flaubert… Mais peu à peu, au cours du récit, le thème tourne sur lui-même. Le manuscrit de Dante prend la forme d'un fétiche inestimable pour l'humanité. Toujours une histoire de fric, mais cette fois dans le bon sens… Le livre, objet si mesquin de notre époque mercantile, devient par l'intermédiaire de ce manuscrit trouvé le symbole même de la richesse.

Une adaptation cinématographique, voulant surfer sur le succès Da Vinci Code, est en cours de négociation. Le roman, dans le résumé succinct qu'on donne un peu partout, peut effectivement faire penser au roman de Dan Brown que je n'ai - ah malheur ! - pas l'intention de lire : une intrigue contemporaine couplée à un mystère lié à une grande œuvre du passé. Ce n'est plus la Joconde mais le manuscrit de la Divine Comédie de Dante. Une fois passé ce résumé, il n'y a plus vraiment d'analogie entre les deux projets littéraires. Là où Dan Brown essaie de créer un pseudo-mystère sur de mystérieux codes inscrits sur la toile du très mystérieux Leonard de Vinci, Nick Tosches se contente de dessiner un portrait vrai de l'artiste au travail : un être sans amour assoiffé de savoir et rendu aigri et égoïste par sa propre peur. Oublions tous les discours qui tentent de livrer une révélation - qui croit encore de nos jours aux révélations ? -, afin de comprendre que derrière la pensée se dissimule l'indicible. "La pensée était la racine du mal" dit le vieux Juif dans le roman. La pensée nous fait oublier la vérité. Le poète n'est qu'un "imposteur". Et la Trinité une erreur grossière et un symbole fallacieux...

"Voilà à quoi ils tiennent, les pouvoirs mystérieux de ta trinité : un lancer de dés pipés, un misérable tour de passe-passe [...]. Vous les devez à l'imagination érudite et à l'éloquence de son auteur, votre grand intellectuel numide, Augustinus." La Main de Dante, un roman sur la mystification.

La Main de Dante (2002), de Nick Tosches

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