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Les Notes d'un Souterrain
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14 juin 2009

Les Démons à ma porte (2001), de Jiang Wen - Le burlesque et l'horreur - Underground et Finkielkraut

Les_demons_a_ma_porte

Si c’est pas grave, faut pas s’en faire.
Et si c’est grave, y’a rien à faire.
Proverbe (d’un chef de village) chinois

     Vu, ou plutôt revu le très beau film de Jiang Wen, Les Démons à ma porte, peut-être l'un des meilleurs films chinois depuis que le pays s'est ouvert au cinéma (en exceptant le grand frère Hong-Kong).  L’épisode se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, fin 1944, dans un petit village au Nord-Est de la Chine encore alors sous l'occupation japonaise. Ma Dasan, en plein ébat amoureux, est interrompu dans sa lancée par l’intrusion d'un être mystérieux, anonyme, sans apparence, à l'image d’un destin farceur ou du souffle de l'Histoire, on ne sait pas très bien. Interrompu pendant l'acte sexuel, un peu comme le fut le père de Tristram Shandy... De cette union bouleversée naîtra un enfant, peut-être aussi bancal que Tristram lui-même, un enfant que Jiang Wen conçoit comme la Chine actuelle.  Le villageois se voit contraint d’accepter deux paquets avec la promesse que l’homme viendra les reprendre d’ici le Jour de l’An. Les deux paquets sont en fait un soldat japonais et son traducteur chinois. S’ils meurent, la force anonyme promet la destruction du village et l’extermination de ses habitants. Apeurée par la prophétie, la communauté fait tout pour tenir les deux prisonniers cachés… L'amorce de ce film fait davantage penser au conte qu'à un film historique traditionnel. Difficile d’ailleurs de le classer. Le burlesque m’apparaît comme l’élément stylistique le plus visible. La guerre et son petit train-train sont filmés par le biais de l’humour avec un ton qui fuit le sentiment de la gravité, l'esprit de sérieux. Le réalisateur semble avoir compris que le burlesque est l’un des filtres les plus aptes à décrire l’absurdité de certaines situations. David Lynch, avec Eraser Head, avait déjà saisi cette subtilité. Jack Nance déambule dans la ville comme Charlie Chaplin ou Buster Keaton, démarche hagarde et mécanique dans la ville monstrueuse, et semble désespérément incapable de se ressaisir face au monde. On retrouve cette démarche à la fin des Démons à ma porte, lorsque Ma Dasan court dans la boue à la poursuite d’une vengeance impossible. Le burlesque et l’horreur, voilà peut-être le mélange explosif. L’horreur surgit de la fête, du rire, de la joie, inexplicablement. On sait depuis Massacre à la tronçonneuse, et notamment la scène du dîner, que l’horreur s’allie parfaitement avec le burlesque le plus outrancier. Le choc de la scène du festin dans Les Démons à ma porte contient en lui ces deux éléments. De la même manière que la violence et le rire – faux – s’alternent chez les Japonais, le film oppose un humour trivial, paillard même, à la violence la plus extrême, la plus intolérable. Ce sont deux réalités qui s’entrechoquent avec fracas, comme les deux civilisations asiatiques. C’est d’ailleurs au moment où le chef du village chinois se rend compte de cette différence fondamentale que le Mal explose. « Pourquoi chantez-vous toujours en chœur, dit-il, tandis que nous, nous chantons en solo ? » Cette découverte de l’indivisibilité du peuple japonais pousse la situation dans sa plus noire conclusion.

Japonais

    Quand j’ai vu le film de Jiang Wen, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Underground (1995) de Kusturica, ce film faussement « historique » qui avait tant fait parler de lui à Cannes, lors de la remise de la Palme d’Or. Ce n’est pas tant le traitement humoristique, les personnages loufoques et pourtant si vrais ou bien le rôle primordial de la musique, mais plutôt la vision de l’Histoire décrite comme une course désespérément absurde qui m’a fait penser à ce film. Le film de Kusturica, dont le sujet est plus proche de nous dans le temps et l’espace, avait soulevé la polémique. C’était le point de vue qui était mis en cause et certains partis pris historiques. Il faut se souvenir de Finkielkraut qui écrit un article dans Le Monde ( journal relativement diffusé à cette époque), forcément engagé, dénonçant le caractère fasciste du film, bien entendu tout ça sans avoir vu le film… C’est triste à dire, mais quand un homme se croit le devoir de dénoncer une supercherie qu’il ne saisit que par des calculs savants, des déductions intellectuelles, des intuitions de philosophes ou tout simplement que par des a priori, et qu’il s’érige comme porteur d’une vérité, il en paie le prix. Sans avoir tort sur certains points, Finkielkraut a commis une faute déontologique. Il a voulu dénoncer une possible faute de lecture et a proposé dans le même temps une grille de lecture politique selon laquelle on devait voir le film. Le traitement esthétique du film, qu'il balance en deux phrases, ne compte pas, ne doit pas compter. Le film de Jiang Wen attise moins les reproches. Mais ce n’est ni la censure intellectuelle (pour ne pas dire émotive) des Japonais, peuple tombé depuis la fin de la guerre dans une philosophie de la politesse exacerbée et de l’auto-culpabilité, ni la censure gouvernementale de la Chine qui vont permettre le dialogue.

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