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Graffiti sur un mur de l'Ambassade américaine à Téhéran

Comme pour une très grande majorité de la population, il m’est difficile d’infirmer ou de confirmer ce que professe Noam Chomsky dans un entretien qui est paru récemment : L’Ivresse de la force. Il me faut donc soit accepter avec enthousiasme, soit me révolter avec véhémence, soit, et c'est après tout la ligne de conduite que Chomsky préconise de suivre dans toute interprétation du monde moderne, chercher la vérité en suivant des pistes, en validant des sources, des faits et en conservant un comportement critique par rapport à ce qui nous est lancé dans les oreilles. Avant même de commencer, il faut s’interroger sur l’homme qui parle. Noam Chomsky, sans être un idéologue, bien qu'il se présente comme un anarchiste socialiste pacifique, est un homme de l’affirmation, ou plutôt un homme de la parole qui s'affirme. Loin de moi l'idée de le comparer à un Nostradamus misant chaque jour sur dix vérités et, gagant au onzième coup, reprend sa mise, mais il est certain que sa facilité à émettre des vérités me remplit toujours d'admiration. Il utilise avec brio ce qu’on pourrait appeler la technique rhétorique du tout ou rien, dans laquelle nous pouvons ranger ses deux armes de prédilection : la minimisation outrancière et l’exagération forcée. Deux phrases trouvées à une page d’intervalle me font doucement sourire. En parlant des Occidentaux reclus dans leur confort de pensée, il écrit : « Rien ne nous oblige à nous faire volontairement nord-coréens » (p.82). Ensuite, il cite un article du New York Times (il en existe d'autres aux Etats-Unis) à propos de Pinochet, il dit qu’un observateur extérieur connaissant les faits « penserait qu’il a atterri en Russie stalinienne, dans un Etat totalitaire » (p. 83). Encore une fois, loin de moi l’idée de me faire le défenseur d’une politique américaine souvent rebutante, ni même le grand contradicteur de la parole de Chomsky, mais il est certain qu’avec de telles phrases, il parvient aisément à s’attirer les louanges de ceux qui pensent ainsi et à énerver les autres qui ne désirent, après tout, qu’un éclairage un tant soit peu objectif sur les faits. Surtout lorsqu’on se souvient de quelques unes de ses affirmations si tranchées, affirmations qui s’articulent toujours sur une base manichéenne, avec d’un côté les Occidentaux, c’est-à-dire les forts (les Etats-Unis et ses alliés « riches »), de l’autre toutes les nations qui subissent ou ont subi le joug d’une tyrannie, de ses affirmations tranchées donc, qui lui ont valu a posteriori d'être taxé de menteur.

Dans sa « rage manichéenne », Chomsky tend à faire douter de ses propos catégoriques et sans relativisme possible. Le mouvement est toujours le même, les victimes n’ont aucun tort, elles ont dû subir ce que les Américains ont imposé. En soi, cela n’est pas éthiquement immoral, bien au contraire. Le pacifiste anarchique s’avoue clairement du côté des vaincus, ce qui en fait au premier abord un penseur attachant. Mais le fait que les choses aient pu être légèrement plus complexes n’apparaît nulle part. En blanchissant ou en noircissant à outrance le tableau des conflits mondiaux, Chomsky risque de livrer une interprétation unilatérale sur la responsabilité des peuples ou des gouvernements dans les grands crimes du XXe siècle. Les documents critiques de la pensée de Chomsky pullulent sur le net et il ne me viendrait même pas à l'esprit de les signaler. Ce ne sont que des informations parmi d'autres. Mais le fait que de nombreuses interprétations de Chomsky se soient révélées fausses met en lumière ce qui ne va pas dans la manière de penser le monde chez Chomsky, à savoir un manichéisme primaire qui a tendance à annuler tout dialogue de fond sur la question des causes et des conséquences. Ses erreurs d'interprétation et de minimisation du régime communiste et de ses atrocités, en URSS et en Chine, pourraient pousser Chomsky vers la catégorie des « menteurs idéologiques » selon l’expression de Soljénitsyne à l’égard de Gorki et de Sartre – même s’il faut avouer que Chomsky n’est pas un idéologue politique mais plutôt un défenseur d’idéologie. Car Chomsky ne vante pas vraiment le régime communiste, en tout cas plus maintenant, simplement il exècre le régime capitaliste. Dans l’affaire Faurisson, quand Chomsky a défendu non pas un négationniste mais la liberté de parole d’un négationniste, ce qui est différent, sa position d’avocat de l’idéologie est apparue. C'est le tout ou rien. Soit on laisse parler tout le monde au risque d'entendre des absurdités sans nom, soit on se tait... Chomsky se bat pour des idées parfois douteuses tout en gardant une ligne morale claire.

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Noam Chomsky

L’Ivresse de la force est un bon livre, puisqu’il agit comme un électrochoc intellectuel. Mais c’est aussi un très mauvais livre dans son approche systématiquement unidirectionnelle des faits. Par exemple Chomsky n’évoque jamais l’existence d'un point de vue différent de celui des medias pro-gouvernementaux en Amérique, sauf à la page 132 : « Une grande partie des médias ne lèche pas les bottes de Bush. Ils le jugent plutôt sévèrement, à un degré assez inhabituel pour un président. Et cela, soit dit en passant, depuis le début. » C’est tout… C’est le seul endroit où l’on nous explique que peut-être, effectivement, une partie des Etats-Unis, et donc des Occidentaux, puisque c’est la même chose pour lui, a une autre pensée que celle du complot "comportementalo-journalistico-intellectuel" de ce pays. On comprend dès lors que Chomsky ne critique pas la société occidentale (il répète inlassablement que le gouvernement va à l’encontre de la volonté du peuple) mais leurs gouvernements. Il développe donc un propos anarchiste fondé sur la supposition que le gouvernement et ses élites sont des ennemis du peuple. C’est sur ce postulat que toute sa réflexion prend naissance. Sans être un appel à la haine, L’Ivresse de la force ne permettra aucune réconciliation avec soi-même et parviendra facilement à convaincre les indécis. Les Etats-Unis représentent aujourd’hui le « mal politique absolu » et sont entièrement responsables de tous les conflits de ce monde. De la même manière, la société occidentale et le christianisme correspondent à la barbarie la plus poussée que le monde ait connue, etc. Prônant lui-même les méfaits d’une parole totalitaire, Chomsky s’amuse à reproduire sensiblement le même schéma en livrant une pensée brute qui ne tolère ni compromis ni discussion – je dirais même ni « dialogisme » si nous étions en train de parler de littérature. L’arme est efficace. Surtout que cet entretien ne livre aucune clef pour sortir de cette vision (on nous renvoie à quelques propositions données dans Les Etats manqués, p.308-312). L’Ivresse de la force ne peut donc pas être lu comme une « révélation » sur le monde mais bien comme un mode d’approche de la réalité : trouver des sources, les comparer avec d’autres, dégager de tout ça une opinion fondée sur les faits et non sur un lieu commun ou une idée acceptée, etc. C'est donc avant tout un manuel en acte pour tenter de décrypter le monde.

Noam Chomsky : Ivre de vérités...

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