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Les Notes d'un Souterrain
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28 avril 2009

Le Navire de bois (1949), de Hans Henny Jahnn

Le_Navire_de_bois
                                                                                   Capture du Nosferatu de Murnau

    Il est des livres, comme celui-ci, qui vous parviennent dans la mémoire comme des images fixes, finissant tout de même par se mouvoir, un peu comme dans un film. Le Navire de bois, du méconnu Hans Henny Jahnn, qu'un certain Klaus Mann, fils de, a surnommé le "roi sans couronne", est un roman dense, plein d'échos, donnant l'impression d'une unité solide, comme le navire qui sert d'unique décor. On ouvre le livre en montant dessus, et on le ferme en restant dedans, comme un brave capitaine. Hans Henny Jahnn est un allemand, du 20ème siècle. Il a écrit son roman avant la Seconde Guerre mondiale, mais c'est en 1949 qu'un éditeur décide de le publier. Suivront, même s'il n'est pas nécessaire de penser ce roman comme le premier d'une série, deux autres tomes. Le tout donnera naissance à une trilogie : Fleuve sans Rives.

Pour revenir sur les images qui sont nés dans mon esprit à la lecture de ce roman, ce sont les passages les plus ténébreux. Par exemple l'histoire de Kebad Kenya, lui qui souhaite la mort avant même de mourir, qui se fait croire physiquement qu'il est mort et qui se laisse emporter dans son cercueil. Il assiste volontairement impuissant à sa propre mort. Et tout de suite je revois la séquence de Vampyr de Dreyer, dans laquelle un autre personnage se voit mort et emporter au cimetière. Un autre moment décisif, celui du reflet du Mal dans le miroir. Ici, c'est la dernière image de Twin Peaks qui m'est apparue, celle où l'on voit Kyle MacLachlan se mirer dans la salle de bain de ce petit hôtel tranquille :

S'il voulait pouvoir se respecter encore et enfin délivrer l'autre de la vue insupportable d'un masque, il devait avouer qu'il aurait bien été capable de massacrer Ellena, mais que, par un hasard inexplicable, il avait été épargné. Qu'il avait vu nettement, plus que nettement, dans un miroir, le visage du malin, son propre visage.hans_henny_jahnn

    Hans Henny Jahnn a été considéré, à ses débuts, comme un expressionniste, cette mouvance artistique du début du siècle. On peut citer Munch et son Cri [1893] comme œuvre picturale emblématique de l'expressionnisme artistique. Jahnn a certes commencé dans ce genre, avec notamment Perrudja [1929]. Mais très vite, son style s'est éloigné d'une quelconque classification. On ne peut même pas le relier au lyrisme ni au réalisme, quoique son oeuvre s'y apparente parfois. S'il y a bel et bien lyrisme dans ses romans, il est transformé en une vision plus noire, plus pâteuse... Il note d'ailleurs ceci sur la jeunesse : "Et seule l'énergie juvénile s'accomode du vacarme des jours bruyants. Elle méprise la croissance lente et progressive, et les mystères du printemps lui sont inaccessibles, parce qu'elle appartient à cette saison. Elle ne voit que les éclatements, la jouissance superficielle, pas les coulées de lave émanant d'un dieu écorché par les tourments de la création. Et pas le but : l'automne doré. Elle ne se surprend pas à s'arrêter devant le ventre lourd d'une vache et percevoir, derrière une croûte de boue pénible, le mystère triste et suave qui fait tomber la chair des os et annonce la nuit aveugle d'une décomposition inéluctable. Dans sa passion, elle n'a de pensée que pour ce qui est propre. Le ciel étoilé lui paraît une image suffisamment pure pour les éternités." (p.14)

En voulant percer le mystère de la disparition de la belle fiancée Ellena, et celle également du "mystère triste et suave" du pourrissement et de la mort, Gustav précipite toute la réalité dans le néant. Les multiples conduits du bateau sont impénétrables et défient toute logique humaine. A travers ce savant mélange de réalisme et d'absurdité physique, de mythe et de platitude quotidienne, Jahnn a pu être comparé à Kafka. Mais il me semble que Jahnn tente une approche beaucoup plus cérébrale d'une tentative d'explication du sens de la vie, là où Kafka s'attache à retranscrire une expérience spirituelle. Le Navire de bois est une lente immersion dans les abymes de la pensée : celle du Mal, celle de la mort, celle du mystère qui règne en toute chose. C'est un combat contre l'informe, contre l'horreur. Quand on sait que ce roman a été écrit entre 1934 et 36, on comprend que sa quête n'était pas vaine, bien qu'elle le devînt juste après…

Nous avons souvent vu, de nos yeux, l'horreur. La métamorphose inattendue. Un corps sain écrabouillé sous un véhicule. Le sang qui, ramifié, naguère distribuait en secret des alluvions, harmonies chimiques d'éléments et de travaux mystérieux, et circulait par pulsions dans l'entrelacs d'artères subtiles, et ainsi, presque spirituellement, tel un arbre rouge implanté dans l'homme, en épousait en tâtonnant la silhouette. Et personne ne saisit encore que, dans les ramifications des veines, il avait eu une forme. Et plus horrible encore : l'agonie même. A laquelle participe l'ensemble des organes que nous croyons percevoir. Ainsi l'effroi est plus prompt en nous que l'envie de jouir. (p.45)

le_navire_de_bois_roman

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