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Les Notes d'un Souterrain
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4 mars 2010

Cycle Kitano : Violent Cop (1989)

     Quel meilleur moyen pour gonfler un peu son nombre de visites que de parler de l'actualité, de faire de l'actualisme. Nous avons tous eu des amis qui ne prêchaient que par cet état d'esprit. Des amis qui se doivent de voir les films avant même leur sortie, de posséder le dernier Iphone avant même qu'il atteigne le sol européen, qui ne parlent que de ce qui est au seuil de se produire... Essayez de discuter avec eux de films qui ont dix ans, de livres qui ont un siècle. Vous verrez dans leurs yeux quelque chose de vide. Ils vous écouteront, mais comme le font certains scientifiques qui regardent des étoiles lointaines tout en sachant que, peut-être, elles sont déjà mortes. L'actualisme est cette maladie moderne qui contrait le malade à ne s'intéresser qu'à ce qui se produit sur le moment. Tout ce qui appartient au passé n'a plus de saveur pour eux. Il leur faut du neuf, du jamais vu, de l'image vierge, du papier blanc, du moderne qui se dit moderne. C'est ainsi que votre serviteur s'empare de l'actualité (à l'heure où le centre Pompidou prépare une grande rétrospective des oeuvres de Takeshi Kitano) pour vous livrer un Cycle Kitano.

mort_d_Azuma

Film japonais de Takeshi Kitano - 1989 - [Sono Otoko Kyobo Ni Tsuki] Avec "Beat" Takeshi, Haku Ryu, Maiko Kawakami…

Synopsis : Un flic taciturne aux manières fortes use de méthodes violentes pour faire respecter la loi et arrêter les criminels. Il découvre au cours d'une de ses enquêtes que son collègue et ami, le sergent Iwaki, est impliqué dans une affaire de trafic de drogues. Rejeté des services de police pour son comportement qui ne suit pas l'éthique policière, Azuma s'enfonce dans une quête de justice qui se transforme, suite à la mort de son ami corrompu et du viol de sa sœur, en une quête de vengeance sanguinaire.

     Kitano n'est pas arrivé à l'improviste dans le cinéma. Il n'est pas arrivé un beau jour sur un plateau ciné en se disant qu'il ferait bien un film... Même sa persistance à dire qu'il ne connaît rien au cinéma des autres, qu'il n'a pratiquement pas vu de films de sa vie, me semble parfois douteuse... Dans tous les cas, cet homme, lorsqu'il commence la réalisation de son premier long métrage en 1988, a déjà côtoyer le monde du cinéma. En 1983, on a pu le voir dans Furyode Nagisa Oshima, où il tenait le rôle d'un soldat tortionnaire. En 1988, il joue dans une série qui a eu un très grand succès au Japon : Hokubuki Hoshi. C'est donc avec une certaine connaissance du milieu que Takeshi Kitano arrive sur le plateau de Violent Cop, revêtu, comme le veut la légende, d'une armure de samouraï afin de désamorcer toute tentative d'intimidation de la part de l'équipe technique. Car Kitano est également considéré dans son pays comme un présentateur de show débile, une sorte de Lagaff à la japonaise qui ferait des films d'auteur (dur à imaginer, et ce n'est pas la faute de votre imaginaton…). C'est donc un immense défi pour lui que de se faire respecter et par ses collègues et par le public qui se pâme à chacune de ses apparitions et qui le considère comme, au mieux, un bouffon efficace...

En réalité, le réalisateur prévu pour Violent Cop s'est désisté, ou bien, seconde version, la Shoshiku (société de production japonaise) a décidé de le remplacer. Il s'agit de Kinji Fukuzaku, connu aujourd'hui pour avoir tourné entre autres le très moyen Battle Royal [2000]. Kitano reprend les commandes du projet et décide de remanier le script en centrant le film essentiellement sur le personnage fermé et quasiment autiste du flic violent, qu'il interprète également. Il évite ainsi le cliché du film policier qui met en scène des personnages tous plus ou moins corrompus. Le film n'en demeure pas moins inégal et la tentative de Kitano qui vise à centrer le film sur la figure mystérieuse du policier qui sombre peu à peu dans une violence suicidaire ne semble pas encore convaincante.

Violent_cop

Ce premier film moyen, avouons-le même si nous admirons l'œuvre de ce géant (et l'admiration se distingue du fanatisme dans la mesure où l'admiration continue de voir dans le génie un simple homme, capable des plus grandes choses comme des plus beaux échecs - car l'échec est la marque de l'homme), ce film inégal donc, ne propose pas encore la marque de fabrique de Kitano. Pourtant nous y trouvons les prémisses d'un style à venir : 

* Le Personnage : il y a d'abord ce visage fermé, ce masque grec, imperturbable et sans expression. Kitano s'est inspiré du clown blanc pour son non-jeu, comme il le dit lui-même : "J'avais découvert l'existence du clown blanc dans le cirque, un personnage qui fait rire le public mais dont les expressions sont empreintes de mélancolie et de douleur, et je m'en suis inspiré pour ce rôle […]. C'est devenu ma marque de fabrique en tant qu'acteur, une image que j'ai pu utiliser dans mes propres films au risque d'en être là encore prisonnier."

* Le Cadrage : avec ces nombreux plans rapprochés ou ces gros-plans : pas moins d'une trentaine de ces plans-là cadrant uniquement le policier Azuma/Kitano. Non, ça n'est pas de l'égocentrisme ou du narcissisme… juste une manière de définir le caractère imperturbable du personnage, toujours retourné vers l'intérieur.

* Le refus du sentimentalisme : Kitano est bel et bien un cinéaste qui rejette toute forme d'exacerbation des sentiments, il va à l'encontre des "passionistes", selon le mot de Verlaine. Son cinéma évacue les émotions faciles et les violons larmoyants… C'est un critère qui apparaît déjà dans ce film, avec l'amour "dépassioné" entre le frère et la soeur qui préfigure la relation mari et femme dans Hana-bi, et cela montre qu'il s'agit bien d'un élément premier des films de Kitano.

* Présence de la violence : Faut-il vraiment discuter sur ce point...? Kitano est un réalisateur qui met en scène de manière presque choquante la violence à l'état pur. Ce film montre comment la violence s'engendre elle-même en dessinant cet homme qui lave le sang dans le sang.

* L'onirisme suicidaire : dernier leitmotiv kitanesque qui apparaît dans ce film, cet élément que j'appelle "l'onirisme suicidaire". Cette histoire de vengeance, que Kitano transforme en histoire sur la mort et le suicide, est résumée dans la dernière séquence, celle dans laquelle Azuma s'avance vers la mort sans flancher, à moitié par désir de tuer, à moitié par désir de mourir… Ce premier film éclaire d'une manière moins frontale mais tout de même présente ce personnage mystérieux qui avance à tombeau ouvert vers son désir de vengeance et vers sa propre mort…

Le_Tueur_Kiyohiro_OK

Ainsi, malgré tous ces éléments, Violent Cop reste un film mineur qui ne serait plus regardé aujourd'hui si Kitano n'avait pas fait ses autres films… La construction du scénario, tout comme la réalisation, laissent à penser que Kitano ne maîtrise pas encore tout à fait ce jouet extraordinaire qu'est le cinéma :

"Sur Violent Cop, je pensais m'en tirer parce que sur mes plateaux télé, j'avais l'habitude de travailler avec cinq caméras et de m'occuper de la réalisation. Mais j'ai vite compris que ce sont deux moyens d'expression totalement différents. Au cinéma, la taille de l'écran, la profondeur de champ, les combinaisons de couleurs sont déterminantes. Vous pouvez vous permettre des plans-séquences aussi longs que vous le souhaitez qui ne seront pas interrompus par de la publicité. A la télé, quelle que soit la qualité de votre émission, il y a un spot de pub en plein milieu. Après Violent Cop, j'avais le sentiment de ne pas avoir compris ce qu'était le cinéma. Mais cela m'avait beaucoup plus et je brûlais de maîtriser ce nouvel outil que l'on avait mis à ma disposition."

Mort_d_Azuma_2

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Commentaires
J
Si tu es si intéressé, Kitano a sorti une sorte d'auto-biographie l'année dernière... Il revient beaucoup sur ses films.<br /> <br /> En ce qui concerne celui-ci, c'est assez compliqué car Kitano est tombé dessus "par hasard". Il a dû s'y mettre sur le tas. Tout n'est donc pas aussi limpide que dans ses films suivants...
C
vraiment sympa ton article, découvert par hasard sur google voulant éclaircir certains point de ce film dont je n'arrive pas à me faire un avis.<br /> j'aurai juste aimé plus d'analyse pour ce qui est de la réalisation (pourquoi filmé de telle manière, la symbolique qu'elle engendre etc), non pas car cela manque, mais car ça m'intéresse beaucoup !<br /> bon courage et continue
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