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Les Notes d'un Souterrain
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15 avril 2010

L'Echelle de Jacob (1990), d'Adrian Lyne

Echelle_de_Jacob

Film Américain d'Adrian Lyne - 1990 - [Jacob's Ladder] Avec Tim Robins, Elisabeth Pena, Dany Aiello, Ving Rhames, Eriq La Salle

Synopsis : Jacob Singer est un ancien du Viêt-Nam. De retour en Amérique, il voit des démons. Et il revit la funeste journée où il a été blessé à la guerre, sans se souvenir exactement de ce qui s'est réellement passé. Incapable de comprendre ce qui lui arrive, égaré dans plusieurs dimensions temporelles, Jacob cherche à atteindre une vérité qu'on lui dissimule.

      Qui l'aurait cru ? Adrian Lyne réalisant un bon film. Voire un très bon film. Et sans qu'il soit question de sexe. Après Flashdance [1983], 9 semaines et demi [1986] et avant Proposition indécente [1993], Adrian Lyne réalise L'Echelle de Jacob. Une sorte de pic positif dans un cardiogramme créatif plat comme le sens métaphysique de ses films. Le scénariste, sans doute, y est pour quelque chose. Mais avouons que Lyne maîtrise sa caméra et livre, en ce début des années 90, un film fantastique qui renouvelle le genre, principalement grâce à un montage ingénieux et à un détournement des codes éculés du cinéma.

L'Echelle de Jacob fonde sa réflexion et ses coups de théâtre sur un montage savant, qui alterne entre linéarité stricte, avec ellipse, et recoupement des temporalités qui finissent par s'imbriquer les unes dans les autres. Le personnage principale, Jacob Singer, est en toute apparence un ancien du Viêt-Nam, un blessé de guerre qui a du mal à se réadapter à la société. Il voit des démons, fait des rêves étranges et extrêmement réels, semble vivre plusieurs réalités en même temps. Ses doutes remontent au jour où il a été blessé. Il ne sait plus ce qui s'est passé. Nous apprenons au cours du film, exactement comme le héros, ce qui s'est vraiment produit ce jour-là. Nous "vivons" simultanément la même découverte. De ce point de vue, le film est "l'expérience" vécue par Jacob au Viêt-Nam. Nous sommes à l'agonie, nous voyons des monstres sans face, nous ne savons plus ce qu'est exactement la réalité…

Echelle_de_Jacob_2

Toi qui n'as pas vu ce film, cesse de lire et dépose tes yeux ici

    Ce montage oscillatoire, qui fait avancer le film par rupture, par à-coup, semble être l'un des signes patents de la représentation de la mort, ou plutôt de l'acte même de mourir. Non pas simplement une représentation onirique ou fantasmée de la réalité, mais la révélation multiple que la vie va se finir. Dans L'Echelle de Jacob, les réfractions, ou diffractions, se produisent dans des séquences qui sont régulièrement coupées par la vision du Viêt-Nam, dont la chronologie est clairement linéaire. C'est comme de longs intermèdes insérés dans une réalité insoutenable. Mais ces intermèdes, qui traitent aussi bien d'un futur hypothétique que d'un passé révolu, se voient contaminés par le mal véritable qui ronge le personnage : la mort. Il ne peut pas faire abstraction de ce qui se trame autour de lui. La chaleur, le froid, la douleur vécue se répercutent dans son imagination. Pour Jacob, il y a des mystères, mais ils sont inexplicables. Et même si l'on peut facilement sortir de ce film en se disant qu'il s'agissait encore d'un énième film sur la possibilité qu'on ait empoisonné les soldats avec de puissantes drogues hallucinogènes, comme le carton de la fin l'avoue et annule du même coup toute autre interprétation, il me semble que le film pourrait être expliqué autrement, qu'il pourrait être le long fantasme d'un homme aux portes de la mort, se questionnant sur la vérité de ce monde.

    Le film expose les différentes hallucinations du soldat Singer qui meurt peu à peu. Il y a d'abord le futur, et cette vie qu'il mène avec Jézabel. Puis il y a le passé, lorsque son fils était encore vivant (avec en guest star le petit Macaulay Culkin non crédité au générique de ce seul bon film qu'il aura fait...). Jacob croit finalement qu'il vit des réminiscences, certaines datant de la guerre, d'autres de son premier mariage. Mais en réalité, il se projette dans un futur hypothétique. C'est dans ce lieu qu'il commence à s'interroger sur ce mal qui le ronge. Deux figures apparaissent : celles du chiropracteur, Louie, qui guérit le corps mais aussi l'âme de Jacob, et celle du chimiste qui explique de manière rationnelle et scientifique ce qui s'est vraiment passé ce jour-là. Mais ces deux personnages, me semble-t-il, sont avant tout des concepts formulés par l'esprit de Jacob. L'un du côté de la rationalité pure, de l'explication scientifique, et l'autre tourné vers le spirituel. Mais il n'y a pas plus d'anges que de chimistes dans cette histoire. Juste la représentation mentale de concepts qui vont lui servir à expliquer les événements. La présence de la drogue est avant tout une explication donnée à un mystère incompréhensible. Pourquoi ne pas y voir une réaction inconsciente de Jacob par rapport aux effets de la morphine que l'on doit lui administrer lorsqu'il est opéré ? Puisque le regard est double, voire triple, pourquoi avoir insisté sur cette réalité qui finalement entâche tout le reste du film qui perd de son mystère. Ce carton à la fin est certainement le plus gros défaut du film et prouve à lui-seul le manque de discernement d'Adrian Lyne par rapport à la porté de son film.

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Car dans ce film, Lyne s'arrête principalement sur des questions d'ordre théologique et développe ainsi une sorte de caneva où figurent de nombreux symboles. La représentation symbolique, et non pas simplement théologique, est mise en lumière par Louie, le chiropracteur aux allures d'ange gardien :

"La seule chose qui brûle en enfer, c'est la part de toi qui veut s'accrocher à la vie : tes souvenirs, tes sentiments... C'est pas une punition. C'est pour t'aider à libérer ton âme. Si tu as peur de la mort, si tu te cramponnes trop, tu vois des démons qui t'arrachent à la vie. Mais si tu as fait la paix en toi, alors ces démons deviennent des anges qui t'affranchissent du poids de la Terre. Tout dépend de la façon dont tu regardes les choses."

En un dialogue, Adrian Lyne détruit le manichéisme qui caractérise de nombreux films fantastiques, où les monstres restent des monstres, et éclaire d'une nouvelle lumière tous les signes démoniaques qui parsèment le début du film. En ce sens, L'Echelle de Jacob ne se cantonne pas au traditionnel film d'épouvante... Il nous livre une réflexion sur le Mal et ses représentations multiples. Les démons sont le fruit d'une imagination emprisonnée, stressée, paniquée, une imagination qui souffre et qui conduit l'homme à concevoir le Mal, cette fois-ci théologique et moral. La fin du film associe d'ailleurs la représentation d'un Mal absolu et incontrôlable, déclenché par les drogues, avec la guerre du Viêt-nam, autre représentation du Mal moderne.

L'autre grande originalité de ce film se fonde sur le traitement des flash-backs qui induisent en erreur le spectateur. Adrian Lyne place le présent et la réalité dans le seul élément que tout spectateur lambda replace immédiatement, comme par réflexe cinématographique, dans un passé douloureux mais révolu. Par ces deux innovations cinématographiques, Adrian Lyne prouve qu'il aurait pu réaliser de grands films. Malheureusement, ça n'est pas le cas, et L'Echelle de Jacob reste la seule preuve visible à ce jour que Lyne a fait des films.

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